Loi du 6 janvier 1999 sur les chiens "susceptibles d'être dangereux"

Pour mémoire, avant de s'attaquer à l'actualité...

La loi 99-5 du 6 janvier 1999 a marqué les mémoires en créant deux catégories de chiens susceptibles d'être dangereux. Pour simplifier : les "sales tronches" et les "sales tronches avec papiers". Elle nous a également expliqué comment ces chiens seraient gérés afin de protéger la population française.

Les deux catégories

Art. 1er. - Relèvent de la 1re catégorie de chiens telle que définie à l'article 211-1 du code rural :
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Staffordshire terrier, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race American Staffordshire terrier, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche. Ces deux types de chiens peuvent être communément appelés « pit-bulls » ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Mastiff, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche. Ces chiens peuvent être communément appelés « boerbulls » ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Tosa, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Bref une série de chiens qui ont une sale tronche.

Art. 2. - Relèvent de la 2e catégorie des chiens telle que définie à l'article 211-1 du code rural :
- les chiens de race Staffordshire terrier ;
- les chiens de race American Staffordshire terrier ;
- les chiens de race Rottweiler ;
- les chiens de race Tosa ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Rottweiler, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Comprenez : des chiens qui ont une sale tronche mais qui ont des papiers pour prouver qu'ils sont fréquentables.
Ces papiers, ce Graal, c'est l'inscription au Livre des Origines Françaises (LOF). Pour avoir sa carte de membre LOF, il y a deux conditions indispensables :
- avoir son père et sa mère inscrits au LOF
- avoir été examiné par un "juge de race" qui vous a déclaré conforme au standard de la race, une série de traits physiques et comportementaux qui permettent de différencier un berger allemand d'un caniche. C'est ce qu'on appelle la confirmation.
C'est donc un club très fermé auquel, en pratique, appartiennent très peu de chiens. N'oubliez pas que tous les ascendants doivent remplir ces conditions !

Première catégorie ?

Définir un chien de seconde catégorie est donc très facile (hormis le cas des chiens assimilés aux Rottweilers) : de par leur naissance et leur confirmation, ils sont inscrits au LOF.
Mais, pour la première catégorie (et pour les faux rottweilers de la seconde), on nous dit : les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race XXX, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche
Assimilable, c'est flou. Heureusement, l'annexe va nous aider !
Prenons l'exemple des assimilés American Staffordshire terrier, on nous dit :

Les chiens communément appelés « pit-bulls » qui appartiennent à la 1re catégorie présentent une large ressemblance avec la description suivante :
- petit dogue de couleur variable ayant un périmètre thoracique mesurant environ entre 60 cm (ce qui correspond à un poids d'environ 18 kg) et 80 cm (ce qui correspond à un poids d'environ 40 kg). La hauteur au garrot peut aller de 35 à 50 cm ;
- chien musclé à poil court ;
- apparence puissante ;
- avant massif avec un arrière comparativement léger ;
- le stop n'est pas très marqué, le museau mesure environ la même longueur que le crâne tout en étant moins large, et la truffe est en avant du menton ;
- les mâchoires sont fortes, avec les muscles des joues bombés.

Vous devinez probablement déjà la limite du principe de ces catégories. Au-delà de la réflexion sur le "délit de sale gueule", il suffit que le chien fasse un centimètre de trop ou de pas assez pour l'exclure de cette définition. Vous n'imaginez pas le nombre de chiens que moi ou mes confrères avons expertisés comme n'appartenant pas à cette catégorie grâce à ça. Et non, ce n'était pas pour protéger d'infâmes loubards (ce n'est plus à la mode, le mot loubard, je me trompe ?), vous allez comprendre pourquoi...

Que prévoit la loi pour les chiens de première et seconde catégorie ?

Leur détention est interdite :

  • Aux mineurs (moins de 18 ans)
  • Aux majeurs sous tutelle (sauf autorisation du juge des tutelles)
  • Aux personnes condamnés pour crime ou délit inscrit au bulletin n°2 du casier judiciaire
  • Aux personnes auxquelles la propriété ou la garde d'un chien a été retiré pour cause de danger pour les personnes ou les animaux domestiques (dérogation possible par le maire si cette décision date de plus de 10 ans, en fonction du comportement du demandeur
  • Sanctions: trois mois d'emprisonnement et 25 000 francs d'amende (3811 €)

Leur détention implique :

  • Déclaration à la mairie du lieu de résidence du chien (à renouveler à chaque changement de résidence)
  • Identification (tatouage ou transpondeur)
  • Vaccination antirabique en cours de validité
  • Assurance responsabilité pour les dommages causés au tiers (y compris membres de la famille)
  • 1ère catégorie: certificat vétérinaire de stérilisation (définitive)

D'autres mesures viennent compléter tout cela :

Pour les chiens de première catégorie :

  • L’acquisition, la cession (à titre onéreux ou gratuit), l’importation, l’introduction en France des chiens de première catégorie sont INTERDITES.
  • La stérilisation des chiens de première catégorie est OBLIGATOIRE (certificat vétérinaire). Elle doit être définitive.

Les sanctions :

  • Six mois d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende (15 245 €). Confiscation du ou des chiens concernés.
  • Accès interdit aux transports publics, aux lieux publics, aux locaux ouverts au public.
  • Stationnement interdit dans les parties communes de immeubles collectifs
  • Peuvent circuler sur la voie publique muselés et tenus en laisse par une personne majeure.

Pour les chiens de deuxième catégorie :

  • Peuvent accéder aux transports et lieux publics, aux locaux ouverts au public, mais toujours muselés et tenus en laisse par une personne majeure.

La notice du ministère de l'intérieur

Vous avez compris l'idée : partant du principe que ces chiens sont susceptibles d'être dangereux, on contrôle leurs mouvement et leur détention pour les chiens de deuxième catégorie, on cherche à les éliminer (en les stérilisant) pour la première catégorie.
Et tout cela est basé sur l'apparence des chiens et leur arbre généalogique (ou plutôt leur absence d'arbre généalogique).

Quelles sont les limites de cette loi ?

La loi prévoyait dans son article 11 :
Le Gouvernement déposera sur le bureau des assemblées dans les deux ans qui suivent la promulgation de la présente loi un rapport dressant un bilan sur la portée de cette loi concernant les deux catégories de chiens mentionnées à l'article L. 211-12 du code rural.

Moi je n'ai jamais trouvé ces bilans... à défaut, je vais vous présenter quelques unes des limites qui rendent cette loi complètement caduque.

  • Le choix des races concernées est assez mystérieux, on a par contre constaté deux choses : elles n'ont pas disparu, voire ont connu un engouement. En version sans arbre généalogique de préférence, sinon c'est trop cher. D'autres potentiellement tout aussi dangereuses (d'après ces critères physiques et en suivant la logique du législateur...), oubliées car de faible effectif ou ayant bénéficié d'un lobbying positif, ont vu leurs effectifs exploser (le dogue argentin par exemple).
  • La stérilisation des chiens de première catégorie a été aléatoire, et, de toute façon, quelques croisements imaginatifs ont permis de conserver leurs "qualités" tout en modifiant un peu leur apparence. Ben vi, s'il a le poil long ou s'il est un peu trop grand, Junior n'appartient plus à la première catégorie !
  • Pire... je vous présente Marguerite, fruit des amours de Rackham, boxer inscrit au LOF, et de Lulu, timide labradorette au pelage de sable (pas inscrite au LOF, elle, mais Rackham et romantique et fait fi de la pureté de ses gènes) qui a fondu devant les picaresques avances de "son" pirate des Caraïbes. Bref, Marguerite est une jolie bâtarde, qui a hérité de son père un poil court, une apparence puissante, un avant massif avec un arrière comparativement léger et un aspect global de petit dogue, de sa mère, un stop n'est pas très marqué, son museau mesure environ la même longueur que le crâne tout en étant moins large, et la truffe est en avant du menton. Grâce à ses deux parents, ses mâchoires sont fortes, avec les muscles des joues bombés. Et comme elle court beaucoup, elle est musclée. Et, pour parachever le tout, dans la bonne fourchette de taille. Elle est née dans une famille sans histoire qui n'imagine pas un instant que Marguerite est un infâme pitbull. Cette idée n'a même pas effleuré madame Michu, la voisine, qui pense qu'on devrait tous les abattre, ces dangers publics.
    Physiquement, Marguerite (pas madame Michu) appartient à la première catégorie, mais, dans l'esprit du législateur, elle n'existe pas... puisque les ascendants de première catégorie ont été théoriquement tous stérilisés ! Ses propriétaires, paisible couple de fonctionnaires habitant un petit village du sud ouest, risquent six mois d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende (15 245 €) et la confiscation du ou des chiens concernés. ?
  • Voilà pourquoi, si jamais elle devait avoir des ennuis avec un voisin qui n'aime pas les chiens, je trouverais probablement pourquoi Marguerite déroge sur un point à la définition d'un chien de première catégorie. Ce n'était sans doute pas ce que le législateur avait en tête, et certainement pas ce que nous, vétérinaires, souhaitions.

  • Tiens, un élément tiré de l'actualité, qui se passe d'explications :

    C'est d'ailleurs sous le type "croisé rottweiler" que le chien avait été inscrit auprès de la Société centrale canine par son précédent propriétaire. Des incertitudes pesaient depuis mercredi sur la race du chien, présenté au début comme un rottweiler, puis comme un "croisé berger allemand-beauceron", non soumis à déclaration, par un responsable de la SPA qui l'avait vu.

    Je ne suis pas sur que le journaliste entendait faire de l'ironie par ces remarques, mais...

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