Jour dix-sept. Motif : coryza
vendredi 8 juillet 2016, 11:00 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Jour dix-sept
Motif : Coryza
En ce moment c'est carrément l'épidémie. Comme tous les ans, en fait : les chattes ont mis bas au moins une fois, les chatons de 2-3 mois pullulent, la série suivante commence à naître. Bouillon de culture pour coryza. Pour coryzas : ces infections des yeux, du nez et de la bouche, contagieuses, d'origines aussi variées que leur gravité. Il n'y a pas un coryza. Il y a des coryzas, plein de coryzas, causés par des virus, des bactéries, et des associations de malfaiteurs.
Et ce chaton là va être compliqué à sauver. Je ne sais pas si c'est un herpesvirus, un calicivirus, une chlamydophilose, ou une combinaison de ces trois là associés ou non à des opportunistes, peut-être sur fond de rétrovirose, et je ne le saurais pas. Des tests existent, mais ils sont chers, la réponse prend du temps et de toute façon, on peut taper facilement sur tout le monde en même temps. De façon clinico-probabiliste, je dirais herpesvirus + opportuniste, vue la contagiosité dans le quartier et les formes observées sur des adultes (niveau de preuve : mes chaussettes – on fera avec).
Mme Diège est venue avec sa fille. Plus une enfant, mais un peu quand même. Elle a quoi ? 15 ans ? J'ai senti son hostilité dès son entrée dans la salle de consultation. Ou plutôt : juste après. Je n'aurais pas du siffler mon inquiétude en voyant la tronche du chaton. Je décide de faire comme si je n'avais rien remarqué, et de m'adresser aux deux sans réellement orienter mon discours. Être très précis sans jargonner, et… elles vont avoir du boulot, de toute façon. On va voir si je vais réussir à me rattraper.
Je m'assieds sur la table d'examen, je prends le chaton sur les genoux, assis, tourné vers moi, je lui lève la tête en le cadrant avec mes poignets. Maintenu mais pas tenu, il se laisse facilement manipuler. Même s'il essaie mollement de repousser mes doigts avec ses pattes ses griffes sont si fines et ses forces si diminuées qu'il ne peut réellement me blesser. Ni se dégager. Il respire la bouche ouverte. Ses yeux sont à demi-fermés. Il est déshydraté, le bout de son nez est collé, je n'ai pas besoin de stéthoscope pour l'entendre siffler. La langue est propre, les gencives sont saines. Pas de rougeur en fond de gueule, pas de réaction des nœuds lymphatique. Je lui soulève la queue, il s'offusque quand je lui prends la température, se couche sur le côté et tente de me repousser. 38,2°C. Je le soulève et tente de contrôler une moue dubitative. Je me demande s'il n'y a pas une kératite associée, aussi. C'est souvent difficile à estimer quand ils sont si jeunes et qu'ils ont encore des iris bleutés.
Doucement, avec patience et fermeté, je prends des compresses, du sérum physiologique, je commence ma démonstration.
- Il va falloir lui laver les yeux, souvent. Très souvent. Il ne va pas apprécier, mais il ne faut pas laisser toutes ces mucosités. Du sérum phy, que vous trouverez en dosette en pharmacie. Une compresse, un mouchoir, peu importe, vous essuyez, vous mouillez, et vous essuyez. Avec l'eau, tout ça va se liquéfier et s'en aller. Il ne faut pas laisser les croûtes s'installer. Ensuite : le nez. Je vais vous laisser une petite seringue comme celle-ci, elle va vous servir à verser sur le bout du nez. Il faut le rincer, le rincer, encore le rincer. Il va éternuer, cracher et râler, mais il faut tout déboucher. S'il ne mange plus, c'est parce qu'il ne sent plus. Un chat doit sentir ses aliments pour avoir envie de les manger. Il va falloir le faire boire, aussi. Juste qu'à ce qu'il s'y remette tout seul. Ensuite, il y a les pommades. Écarter les paupière, poser un petit grain de riz sur la cornée, masser pour étaler.
Mme Diège et sa fille sont attentives. Elles m'aident, maintiennent le bébé, posent des questions. J'explique pourquoi l'antibiotique, pourquoi l'anti-viral. Quoi surveiller, comment, combien de temps. Comment les choses peuvent évoluer, comment elles ne doivent pas évoluer. Ce qui doit motiver une nouvelle consultation, bref, tout ce qui pourrait arriver.
Je crois que j'ai vaincu son hostilité.
Reste à faire de même avec ce coryza...
Commentaires
Je comprends que vous soyez surpris, mais votre blog a pris une autre tournure.
Déjà vous saviez raconter, nous intéresser à votre univers.
Désormais, c'est chaque jour que vous nous montrez la diversité de vos patients, de votre métier, de sa beauté.
Merci et bon courage, car on risque en demander encore et encore.
Je suis accro à votre blog depuis plusieurs années. J'en apprécie les sujets toujours abordés avec délicatesse et une grande humanité. Non dépourvu d'humour et souvent plein de poésie j'aime beaucoup votre style et votre façon de nous faire partager vos expériences.
Cette chronique devenue quotidienne est un régal dont je me réjouis d'avance chaque matin.
C'est vraiment super de donner des conseils c'est agréable de pouvoir prendre un peu de temps pour ces patients de tous poils et autre !
OK à 100% avec les commentaires 1/2 !On apprend beaucoup, et que le métier de véto n'est pas simple (ce dont on se doutait un peu !) car les patients sont divers et parfois peu "coopératifs" !
Bjr.
C'est chouette, chaque jour, j'ouvre l'ordi et hop, avant d'entamer quoi que ce soit de ma journée, je viens faire un tour auprès de vous..Votre écriture est très filmographique, car je vous vois, là, stéthoscope sur la blouse. J'en arrive à me demander maintenant si lors d'une consult ou visite actuelle, vous pensez parfois à vos lecteurs en vous disant "tiens , ça je vais leur raconter"...
merci Doc
Est-il possible de comprendre, pour qqun qui n'a pas un bac + 5 (voire davantage) en biologie, pourquoi la présence d'un virus dans l'organisme entraine la prolifération de bactéries ?
D'avance merci.
Fourrure :
C'est une question de... porte ouverte. Nous avons des bactéries partout dans le corps. La plupart sont inoffensives, d'autres ont le potentiel de nous causer des maladies (tiens, le fameux staphylocoque doré : vous en avez plein la peau, et pourtant vous n'êtes pas malade alors qu'il est capable de causer des ravages). Mais elles ne peuvent pas attaquer les tissus car ils se défendent bien, par un mélange de défenses passives (du mucus, une barrière cutanée inviolable) et actives (l'immunité). De nombreux virus ont la capacité de désorganiser tout ça, laissant le champ libre à ces bactéries.
Une petite remarque. Il faut préciser "poser la pommade, l'équivalent d'un grain de riz.." et non "posez un grain de riz sur la cornée". Certaines personnes peuvent mal comprendre et mettre un grain de riz dans l'oeil du chat, et je sais de quoi je parle.